"Par les Sommets, vers l'Au Delà .."
(Extraits @ Fischbacher 1914)

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Le sentier

Veux-tu savoir comment, dans les déserts du Doute,
Quand la terre et le ciel dans la nuit sont plongés,
Tu pourras sûrement trouver la seule route
Où la Foi marche en paix au dessus des dangers ?

Ne fixe pas tes yeux seulement sur l'étoile
que l'Idéal allume au loin sur l'horizon,
Et ne t'efforce point de soulever le voile
Qui cache l'avenir immense à ta raison.

Attache tes regards aussi sur la poussière,
Dont la vague blancheur dessine ton chemin;
Plie humblement au joug du bien ton âme fière,
Saisis l'obscur devoir que Dieu met sous ta main.

Plusieurs ont consumé leur âme impatiente
En un désir ardent, mais vain, de tout savoir,
Et, pressant au hasard leur course haletante,
Ont perdu leur sentier qu'ils négligeaient de voir.

Toi, fais, au jour le jour, ce que ton Dieu t'ordonne,
Prends pied chaque matin sur le roc du Devoir,
Compte un progrès de plus à chaque heure qui sonne :
Agir est le secret de croire et de savoir.

Les devoirs accomplis sont les degrés sublimes
Par où l'âme s'élève aux splendeurs de la Foi.
Marche fidèlement, tu parviendras aux cimes,
Et les secrets divins se livreront à toi.

Jules Vinard

*****

The Footpath.

(Translated from the French of Pasteur J. Vinard, of Grenoble, France, November, 1887.)

Would'st thou when, Heaven and Earth in darkness shrouded,
Doubts and fierce terrors thicken o'ver thy head ;
Would'st thou, benighted, still discern the footpath
Where Faith in peace doth aye serenely threat ?

Let not the stars alone arrest thy gaze,
Nor seek with too great eagerness of soul,
To lift the veil which wisdom infinite
Betwwen thy and thy future life doth roll.

Still en the dust bestow regardful looks,
Tho' dimly white, 'twill serve to trace the way,
Bend thy proud soul humbly to bear Gods yoke
Doing, with all thy might, each duty of the day.

How many are there who, all things to fathom,
Fret their impatient souls with vain desire,
And halting not upon their breathless course,
Miss the plain path which should have lead them higher.

But thou, with footing firm on Duty's rock,
Daily perform what God for thee ordains,
Let every hour record a forward step,
Full faith and knowledge shall reward thy pains.

Duties accomplished are the steps sublime,
By which the soul attains Faith's glorious height ;
Walk faithfully, and once the summit gained,
Secrets divine shall break upon thy sight.

F.W. Worcester, Nov. 4th, 1887.

(@ Worcesters Herald, 5, Nov. 1887)

*****

Les deux sanctuaires

J'aime la majesté des sombres cathédrales
L'autel aux franges d'or, où se dresse la croix,
Le peuple, agenouillé sur la pierre des dalles,
Frémissant aux accords de l'orgue aux mille voix ;

J'aime le doux rayon de lumière irisée,
Qui, tombant des vitraux dans l'ombre du Saint Lieu,
Colore en se jouant, de sa clarté brisée,
L'obscurité pieuse où l'homme attend son Dieu.

J'aime à voir s'avancer sous les sombres portiques
Le pauvre confiant, comme un hôte attendu,
Qui sent, dès que sa voix se mêle aux saints cantiques,
Qu'à l'appel de son coeur, quelqu'un a répondu.

Le Temple est l'échappée immense et lumineuse
D'où le ciel se dévoile aux yeux du racheté ;
C'est le sommet béni, d'où l'âme voyageuse
Découvre au loin les champs de l'immortalité...

Et pourtant j'aime mieux un autre sanctuaire
Inconnu de la foule et par Dieu préféré,
Où brûle nuit et jour l'encens de la prière
Et d'où jaillit, dans nos ténèbres, la lumière
Qui peut orienter vers Dieu l'homme égaré :

C'est l'âme enthousiaste et pure, écho fidèle
Des grandes voix du ciel et de l'humanité,
Et d'où rayonne au loin cette flamme immortelle
Dont le Christ dans le monde a jeté l'étincelle
Et qu'on nomme la Charité.

Jules Vinard

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La digue

Je dis que le tombeau, qui sur les morts se ferme,
Ouvre le firmament,
Et que, ce qu'ici bas, nous prenons pour le terme,
Est le commencement.

(Victor Hugo, Contemplations, II, IV, XV)

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Vêtu de deuil, j'errais seul et triste sur la grève,
Songeant aux morts aimés, à ceux qui ne sont plus,
A tout ce qui commence et jamais ne s'achève,
Au vain balancement du flux et du reflux.

Je regardais la mer, irascible et mauvaise,
Se ruer à l'assaut de ses bords éboulés,
Puis traîner en râlant les lambeaux de falaise
Qui cédaient sous le poids de ses flots écroulés.

D'un haut talus, creusé de sa base à son faîte,
Se penchait un vieux mur, lamentable débris
D'une maison, rasée en un jour de tempête,
Gisant parmi les joncs et les pins rabougris.

On voyait que jadis la mer était lointaine,
Mais que, de siècle en siècle, elle avait, sans repos,
Refoulé devant elle, en sa marche certaine,
Pâturages et blés, laboureurs et troupeaux.

Et je disais : "Voilà l'image de la vie !
"Nos travaux, nos foyers, tous nos biens les plus chers
"Sont voués à la mort, fatale inassouvie,
"Comme l'est la falaise au rongement des mers.

"Que de coeurs généreux, de fronts pleins de pensées,
"Que de jeunes regards, où l'espérance luit,
"Vont, comme en un remous de vagues courroucées,
"Se perdre aux profondeurs de l'éternelle nuit !

"O douleur de songer que mon âme féconde,
"Tombant avec ma vie à l'océan des jours,
"N'est qu'un débris de plus dans les débris d'un monde
"Qui s'obstine à revivre et s'écroule toujours !

"Quoi ! sortir de la poudre, être une âme vivante,
"Aimer .. puis à la poudre être à jamais rendu ! .. "
C'est ainsi qu'en mon coeur grandissait l'épouvante
De la vie inutile et du labeur perdu.

II

Or voici qu'imitant de l'aveugle matière
Le jeu dévastateur, survinrent, affairés,
Des hommes, charriant au flot des blocs de pierre,
Qui s'abîmaient, pareils à des murs effondrés.

On eût dit une race enfantine et sauvage,
Se livrant par colère au labeur écrasant
De traîner à la mer les rochers du rivage,
Pour lapider le flot comme un Dieu malfaisant.

N'était-ce point assez que la vague perfide
Disputât sans relâche aux hommes leur séjour ?
A le précipiter dans l'insondable vide
Leur fallait-il encor s'acharner à leur tour ?

.. Soudain je pressentis qu'une grande pensée
Présidait, invisible, à leur effort géant.
Leur peine, en apparence inutile, insensée,
Tendait vers l'avenir et non vers le néant.

Je lisais sur leur front l'allégresse sublime
Du combattant, qui songe au triomphe attendu;
Et, des matériaux précieux, que l'abîme
Dévorait, je compris que rien n'était perdu.

Maintenant, sur la nuit de mes tristes pensées,
Du fond des noirs regrets ou se plongeait mon coeur,
Flottent deux visions, ou les choses passées
Renaissent aux clartés d'un avenir vainqueur.

III

Je vois sur les débris des falaises croulantes,
Sur ces blocs précieux aux flots précipités,
S'établir lentement les assises puissantes
Où surgiront les murs des futures cités ;

Et la digue, allongeant en courbe harmonieuse
Son épaisseur massive autour du gouffre noir,
Réfléchit sa blancheur dans l'onde ténébreuse,
Ainsi qu'un clair visage en un sombre miroir.

Plus tard des prés fleuris, des bois, des champs fertiles
Avoisinent la mer, dont ils frangent le bord ;
Et chaque nuit, devant les demeures tranquilles,
Le phare protecteur veille et montre le port.

IV

D'un avenir plus beau, perspectives lointaines,
Suprêmes visions éblouissez mes yeux ! ...
Je vois sur l'océan des détresses humaines,
L'horizon s'élargir, sous la splendeur des cieux.

Comme du grain qui meurt naît la moisson dorée,
Comme du papillon, l'aile aux vives couleurs
Sort de la chrysalide inerte et déchirée,
Notre éternité germe au sillon des douleurs.

Nos doux foyers déserts dont s'écroulent les pierres,
Tous nos bonheurs perdus, ces marbres dont la Mort
Parsème à pleine mains l'herbe des cimetières,
Sont l'assise cachée et solide du port.

Qu'un invincible espoir soulève nos poitrines,
Même à l'heure dernière où l'on se dit adieu !
Nos terrestres cités qui tombent en ruines
Sont les fondations de la cité de Dieu !

Jules Vinard

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Plus haut !...

Pour atteindre au repos, il faut monter encor.
Vers son nid, loin du sol l'oiseau prends son essor ;
Et la feuille, au sommet de la branche élancée,
S'endort plus doucement, au vent du soir bercée.

Les jours s'en vont, je monte et le ciel est voisin.
D'un regard plus brillant, m'attirent les étoiles,
Et, dans l'éternité, dont s'écartent les voiles,
Auprès de Dieu, je vais me reposer enfin.

Jules Vinard

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Le nid d'aigle détruit

Lorsque le jeune aiglon, voyant partir sa mère,
En la suivant des yeux, s'avance au bord du nid,
Qui donc lui dit alors qu'il peut quitter la terre
Et sauter dans le ciel, déployé devant lui ?...
(Alfred de Musset)

*****

Au flanc vertigineux des roches solitaires
Sous un enfoncement l'aigle a caché son nid,
Que protègent d'en haut des corniches de pierre,
D'en bas l'escarpement des parois de granit.

Devant l'abri tranquille une dalle avancée
Domine l'étendue ; et parfois les aiglons
Viennent là, désertant la voûte surbaissée,
Adorer le soleil et boire ses rayons.

Mais leur instinct les tient à l'écart des abîmes,
Ils s'étonnent de voir l'aigle s'en approcher,
Et quand son vol hardi l'emporte vers les cimes,
Ils reviennent tremblants sous le creux du rocher.

Ils ignorent qu'il est des ivresses plus belles
Que de voir la lumière et d'être en sûreté ;
Sous l'enfantin duvet où sommeille leurs ailes,
Jamais d'aucun essor elles n'ont palpité.

Conquérir à grand vol les déserts de l'espace,
La vallée où blanchit l'écume des torrents,
La brume qui surgit des profondeurs et passe,
Semant les hauts sapins de ses flocons errants ;

Les pentes sans limites, où broutent, dispersées,
Les génisses sous l'oeil des pâtres attentifs ;
Ou des hameaux lointains les cabanes pressées,
D'où montent des agneaux les bêlements plaintifs ;

S'élancer dans la nue avec des cris de joie,
Sur le vide, en planant, s'arrêter, suspendu,
Puis d'un vol tournoyant fondre sur une proie,
La saisir, remonter d'un coup d'aile éperdu :

Ce n'est là, pour l'aiglon, qu'une gloire interdite,
Et dont le fier désir ne l'a point tourmenté ;
Nulle félicité ne lui semble prédite
Que d'être, au fond d'un nid, chaudement abrité ;

Et l'aigle, avec amour sur ses aiglons se penche,
Pour les abriter mieux, surtout quand vient le soir,
Ou quand au-dessus d'eux s'écroule l'avalanche,
Qui gronde et qui se brise et glisse au gouffre noir.

II

Mais un matin, ou dort dans l'ombre la couvée,
L'aigle, ayant contemplé l'horizon radieux,
Les chasse tous, d'une aile à demi soulevée,
Au grand jour, dont soudain s'éblouissent leurs yeux.

Il bat de l'aile au bord glissant du précipice,
S'enlève et les excite à prendre leur essor.
Sous le vent de son vol leur duvet se hérisse,
Leurs ailes ont frémi, mais s'ignorent encore.

Alors sur ce doux nid, où leur frayeur s'abrite,
Et qu'avec tant d'amour naguère il a construit,
Avec des cris aigus l'aigle se précipite
Et, des serres, du bec, l'attaque et le détruit ;

Et les voyant blottis sous les débris fragiles,
Comme pour retrouver leur nid mis à néant,
Ils les balaye, au bruit de leur plaintes futiles,
D'un suprême coup d'aile à l'abîme béant ...

Mais il sait que, pour eux, l'heure est enfin venue
Du glorieux destin dont ils avaient douté,
Et leurs ailes qu'entrouvre une force inconnue,
D'un battement vainqueur fendent l'immensité !

III

Dans ces aiglons tremblants reconnais ton image,
Fils immortel de Dieu, qui te plains de ton sort,
Et vis insouciant ou souffre sans courage,
Comprenant mal la vie et redoutant la mort.

Tous nos biens d'ici-bas : les dons de la nature,
L'abri d'un doux foyer, les amitiés, l'amour,
De toute passion enthousiaste et pure
L'élan joyeux et libre, et payé de retour,

C'est le nid provisoire, où Dieu couve en notre âme
L'instinct sacré de vivre et la soif de bonheur.
Un plus noble destin toutefois nous réclame,
Dont nous fuyons l'idée et refusons l'honneur.

Mais Dieu, pour susciter nos hautes énergies,
Nous dérobe l'appui de nos bonheurs d'un jour ;
Aux brèches de nos jours, à chaque heure élargies,
Du céleste horizon s'éclaire le contour.

Et, comme nous fuyons sous nos tristes ruines,
A l'abîme il commence à nous précipiter,
Des battements pressés de ses ailes divines,
Pour forcer à son tour notre aile à palpiter.

Oh ! d'une âme livrée à Dieu sublime ivresse,
Dont au bord de l'abîme elle va tressaillir,
A l'heure où nous étreint l'indicible détresse
De voir s'enfuir la terre, et la tombe s'ouvrir !

A sa mort, qui n'est plus qu'une aurore paisible,
Son nid détruit devient l'immensité du ciel ;
Sa chute au précipice, un essor invincible ;
Et son cri d'agonie, un cantique éternel !

Jules Vinard

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Manuscrit de "Par les sommets vers l'Au-delà"

Jules Vinard

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