"Par les Sommets, vers l'Au Delà .."
(Extraits) @ Fischbacher 1914
La digue
Vêtu de deuil, j'errais seul et triste sur la grève,
Songeant aux morts aimés, à ceux qui ne sont plus,
A tout ce qui commence et jamais ne s'achève,
Au vain balancement du flux et du reflux.
Je regardais la mer, irascible et mauvaise,
Se ruer à l'assaut de ses bords éboulés,
Puis traîner en râlant les lambeaux de falaise
Qui cédaient sous le poids de ses flots écroulés.
D'un haut talus, creusé de sa base à son faîte,
Se penchait un vieux mur, lamentable débris
D'une maison, rasée en un jour de tempête,
Gisant parmi les joncs et les pins rabougris.
On voyait que jadis la mer était lointaine,
Mais que, de siècle en siècle, elle avait, sans repos,
Refoulé devant elle, en sa marche certaine,
Pâturages et blés, laboureurs et troupeaux.
Et je disais : "Voilà l'image de la vie !
"Nos travaux, nos foyers, tous nos biens les plus chers
"Sont voués à la mort, fatale inassouvie,
"Comme l'est la falaise au rongement des mers.
"Que de coeurs généreux, de fronts pleins de pensées,
"Que de jeunes regards, où l'espérance luit,
"Vont, comme en un remous de vagues courroucées,
"Se perdre aux profondeurs de l'éternelle nuit !
"O douleur de songer que mon âme féconde,
"Tombant avec ma vie à l'océan des jours,
"N'est qu'un débris de plus dans les débris d'un monde
"Qui s'obstine à revivre et s'écroule toujours !
"Quoi ! sortir de la poudre, être une âme vivante,
"Aimer .. puis à la poudre être à jamais rendu ! .. "
C'est ainsi qu'en mon coeur grandissait l'épouvante
De la vie inutile et du labeur perdu.
II
Or voici qu'imitant de l'aveugle matière
Le jeu dévastateur, survinrent, affairés,
Des hommes, charriant au flot des blocs de pierre,
Qui s'abîmaient, pareils à des murs effondrés.
On eût dit une race enfantine et sauvage,
Se livrant par colère au labeur écrasant
De traîner à la mer les rochers du rivage,
Pour lapider le flot comme un Dieu malfaisant.
N'était-ce point assez que la vague perfide
Disputât sans relâche aux hommes leur séjour ?
A le précipiter dans l'insondable vide
Leur fallait-il encor s'acharner à leur tour ?
.. Soudain je pressentis qu'une grande pensée
Présidait, invisible, à leur effort géant.
Leur peine, en apparence inutile, insensée,
Tendait vers l'avenir et non vers le néant.
Je lisais sur leur front l'allégresse sublime
Du combattant, qui songe au triomphe attendu;
Et, des matériaux précieux, que l'abîme
Dévorait, je compris que rien n'était perdu.
Maintenant, sur la nuit de mes tristes pensées,
Du fond des noirs regrets ou se plongeait mon coeur,
Flottent deux visions, ou les choses passées
Renaissent aux clartés d'un avenir vainqueur.
III
Je vois sur les débris des falaises croulantes,
Sur ces blocs précieux aux flots précipités,
S'établir lentement les assises puissantes
Où surgiront les murs des futures cités ;
Et la digue, allongeant en courbe harmonieuse
Son épaisseur massive autour du gouffre noir,
Réfléchit sa blancheur dans l'onde ténébreuse,
Ainsi qu'un clair visage en un sombre miroir.
Plus tard des prés fleuris, des bois, des champs fertiles
Avoisinent la mer, dont ils frangent le bord ;
Et chaque nuit, devant les demeures tranquilles,
Le phare protecteur veille et montre le port.
IV
D'un avenir plus beau, perspectives lointaines,
Suprêmes visions éblouissez mes yeux ! ...
Je vois sur l'océan des détresses humaines,
L'horizon s'élargir, sous la splendeur des cieux.
Comme du grain qui meurt naît la moisson dorée,
Comme du papillon, l'aile aux vives couleurs
Sort de la chrysalide inerte et déchirée,
Notre éternité germe au sillon des douleurs.
Nos doux foyers déserts dont s'écroulent les pierres,
Tous nos bonheurs perdus, ces marbres dont la Mort
Parsème à pleine mains l'herbe des cimetières,
Sont l'assise cachée et solide du port.
Qu'un invincible espoir soulève nos poitrines,
Même à l'heure dernière où l'on se dit adieu !
Nos terrestres cités qui tombent en ruines
Sont les fondations de la cité de Dieu !
Jules Vinard
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Maj. 030511